Il y a près de cinq ans, j'ai eu la chance de rencontrer une gentille gynécologue qui était prête à me faire une ligature des trompes. J'ai eu peur - non pas de changer d'avis, mais j'ai une phobie des interventions médicales - et j'ai décidé de laisser faire et de continuer à prendre la pilule. Récemment, j'ai décidé de mettre fin à ma prise de médocs et de prendre mon courage à deux mains pour obtenir une ligature.
Au Québec, lorsqu'on souhaite se faire ligaturer, notre médecin de famille nous envoie rencontrer un.e gynécologue qui décide ensuite de nous donner - ou non - une référence pour obtenir cette chirurgie à l'hôpital. J'avais rendez-vous ce matin avec un gynéco que je ne connaissais pas.
En entrant dans son bureau je constate deux choses, l'une, que c'est un homme, et l'autre qu'il est magrébin. Si je mentionne ce fait, ce n'est nullement par racisme ou sexisme. Je me suis simplement dit que ça allait sûrement être plus compliqué qu'avec une femme québécoise, le Québec étant reconnu pour être plus ouvert d'esprit à l'égard des contraceptifs que l'Afrique du Nord. De surcroît, je dois avouer mon penchant pour les gynécos féminins, selon moi - et cela n'a rien à voir avec la compétence puisque je crois que les deux sexes sont aussi compétents l'un que l'autre - une femme est plus apte à comprendre réellement le système reproducteur féminin qu'un homme puisqu'elle en porte un avec elle 24 heures sur 24.
Dr Khaled : Alors tu viens me voir pour...
(il regarde mon papier de référence) une ligature de trompes?
Dit-il non seulement en me tutoyant, mais aussi d'un air un peu surpris.
Moi : Oui.
Dr Khaled : T'as quel âge?
Moi :Trente-six ans.
(Je me retiens de lui demander pourquoi il me demande mon âge, question de ne pas avoir l'air bête en partant.)
Dr Khaled : Ah. T'as déjà eu des enfants?
Moi : Non.
Dr Khaled : T'as pensé à d'autres moyens de contraception?
Moi : À ce point-ci, non. J'ai tout essayé et là, je veux quelque chose de permanent.
Dr Khaled : T'as essayé quoi?
Moi : Pilule pendant 18 ans,
Depo-Provera, stérilet...
(Bon, d'accord, j'ai menti sur ce coup-là, mais j'ai tellement d'amies qui m'ont raconté leurs problèmes avec le stérilet que j'ai décidé de faire leur expérience mienne).
Dr Khaled : Et ça marche pas?
Moi : Oui, mais je ne veux plus rien prendre avec des hormones. Je suis tannée de prendre des médicaments.
Dr Khaled écrit dans mon dossier « tannée » (« J'en ai marre » pour mes ami.e.s européens.)
Dr Khaled : Tu sais que c'est permanent..
Moi : Oui. C'est la raison pour laquelle je veux une ligature et non pas un stérilet qu'il faut changer aux cinq ans.
Dr Khaled : Tu pourrais regretter. Ça fait 30 ans que je fais des ligatures et je te dis, dans 50 % des cas, les femmes regrettes.
Je suis dubitative. Selon mes recherches - ça fait quand même cinq ans que je travaille sur mon documentaire et que je lis sur le sujet - très peu de femmes au Québec changent d'avis ou regrettent leur ligature. Surtout qu'il faut toujours se battre avec des docteurs pour avoir le droit d'en avoir une.
Moi : 50 %, vraiment? J'en doute un peu. Vous avez pris ce chiffre-là où? Est-ce que les statistiques sont les mêmes depuis 30 ans, sans variation? Dans les années 80, 50 % des femmes voulaient que vous renversiez leur ligature et en 2010, 50 % encore? Ça me semble surprenant.
Dr Khaled : 50 % des femmes entre 25 et 30 ans regrettent. Ensuite entre 30 et 35, ça diminue et après 35, ça devient minime.
Moi : Justement, j'ai 36 ans et je sais que je ne regretterai pas, je ne veux pas d'enfants.
Dr Khaled : Ah là là, mademoiselle, il ne faut pas dire ça. Il ne faut jamais dire : « Fontaine, je ne boirai pas de ton eau. »
Moi : Euh oui, en fait, on peut le dire, quand on sait qu'on n'en veut pas, qu'on n'en a jamais voulu et que rien ne pourrait arriver pour nous faire changer d'avis, on peut dire qu'on ne veut pas d'enfants.
Dr Khaled : Des femmes qui avaient eu cette chirurgie sont revenues me voir et elles me disaient: « Mais là, j'ai un nouveau copain et...» « J'ai rencontré quelqu'un...» « J'ai fait une erreur. »
Moi : Monsieur, je trouve ça infantilisant et condescendant de se faire dire ça. Ce serait vraiment surprenant qu'autant de femmes regrettent soudainement après une opération majeure - parce que j'admets que c'est une grosse opération avec anesthésie générale - et se disent : « Oh merde, j'ai un copain maintenant, toutes mes convictions tombent à la poubelle. »
Dr Khaled : Bon, je vois que je ne te ferai pas changer d'avis.
Il écrit ça dans mon dossier puis me remets une référence pour obtenir une ligature à l'hôpital. Je me lève donc. Il rajoute:
Dr Khaled : Mais tu sais, c'est une opération majeure et il y a BEAUCOUP de risques. Tu pourrais MOURIR.
Je le vois arriver de loin sur ses grands chevaux. C'est vrai, toute chirurgie avec anesthésie peut avoir des complications, mais de dire à une patiente qu'elle peut crever alors qu'en fait il y a une chance sur 10 000 qu'il y ait des complications, c'est non seulement mélodramatique, c'est de la désinformation (voir ci-bas).
Dr Khaled : Bon, oui, les risques sont minimes, mais je dois te le dire parce que moi, je suis contre cette procédure qui n'est pas du domaine de la contraception, mais de la mutilation.
Moi : Euh... je suis d'accord avec vous que c'est une mutilation dans le sens strict du terme, en effet, nous ne sommes pas nées avec des trompes ligaturées, ceci dit, cela reste une méthode de contraception.
Dr Khaled : En plus des risques liés à l'anesthésie et à la chirurgie - le médecin pourrait perforer des organes, il pourrait y avoir des infections, etc. -
(dans ma tête, je me dis qu'il ne fait pas trop confiance aux chirurgiens québécois... je ne me ferai pas faire ma ligature dans le fond d'un garage par un itinérant saoul, mais par des docteurs spécialisés), tu risques d'avoir très mal au ventre, des saignements abondants parce que le corps n'est pas fait pour la ligature et réagit très mal. Et tu peux encore tomber enceinte, c'est arrivé à la femme d'un de mes collègues. En plus, ça va vraiment accélérer ta ménopause.
On continue de s'obstiner un peu puis il finit par avouer:
Dr Khaled : Je ne recommande pas la ligature. Je suis contre, en fait. Donc mon but était d'essayer de te décourager.
Un médecin ne devrait jamais essayer de décourager une patiente déterminée à avoir une ligature de ne pas le faire parce que ça va à l'encontre de sa philosophie personnelle ! Je ne demandais pas à avoir une opération de mutilation complètement loufoque (« Pourriez-vous m'enlever l'épaule gauche, je ne l'aime plus trop... ») ni même une opération controversée. La ligature de trompes est une méthode de contraception permanente recommandée par l'Association des obstétriciens et gynécologues du Québec.
Ah et puis, évidemment, ce gynéco ne m'a absolument pas parlé de stérilisation transcervicale (Essure).
Rétablissons ici les faits.
En ce qui a trait au taux d'échec
Selon le site de l'
AOGQ, le taux d'échec associé à une ligature tubaire est infime : « Malgré
une ligature tubaire parfaite, il peut y avoir une grossesse dans
environ 1 cas pour 1000. »
Selon le document
Consensus canadien sur la contraception de la SOGC : « Les probabilités cumulatives d’échec à 10 et à 20 ans sont affectées par l’âge de la patiente au moment de la ligature des trompes. En effet, la probabilité d’échec chez les femmes âgées de 28 ans ou moins au moment de la stérilisation est supérieure à celle des femmes qui sont âgées de plus de 34 ans au moment de celle-ci, et ce, peu importe la méthode utilisée »
En ce qui a trait aux complications
Selon le site de la
SOGC, les complications de la ligature des trompes sont : « Le saignement, l’infection ou la réaction à l’anesthésie peuvent se
produire. Également, il se peut que d’autres organes, tels l’intestin,
la vessie, l’utérus, les ovaires, les vaisseaux sanguins et les nerfs
soient endommagés. Ceci se produit dans 1% à 4%. Un cas
sur 1 000 peut nécessiter une chirurgie pour réparer un vaisseau sanguin
principal ou une colostomie temporaire. Une chirurgie d’urgence, des
transfusions de sang ou une incision plus large peuvent être nécessaires
afin de réparer les blessures et compléter la procédure de façon
sécuritaire. Certaines blessures peuvent ne pas être évidentes pendant
plusieurs jours, lesquelles nécessiteront une autre chirurgie. Quoique
rares, des décès ont aussi été rapportés lors d’une ligature des
trompes. »
En ce qui a trait au nombre de réanastomoses (renversement de la ligature)
Le document
Consensus canadien sur la contraception de la SOGC cite une étude américaine à propos du regret. Voici les conclusions de cette étude. « The cumulative probability of a woman expressing
regret within 5 years after her husband's vasectomy was 6.1%, which was similar to the 5-year
cumulative probability of regret among women after tubal sterilization
(7.0%). Women who reported substantial conflict with
their husbands before vasectomy were more than 25 times more likely to
request that their husband have a reversal than women who did not report
such conflict (rate ratio 25.3). Similarly, women
who reported substantial conflict with their husbands or partners before
tubal sterilization were more then three times as likely to regret
their decision and more than five times as likely to request a reversal
than women who did not report such conflict (rate ratio 3.1 and rate ratio 5.4, respectively).
Bref on est dans de très petits pourcentages... très loin du 50 % de mon gynécologue.
En ce qui a trait au lien entre la ligature et la ménopause ou aux règles abondantes.
Je n'ai trouvé aucune étude sur Internet montrant un quelconque lien entre la ligature des trompes et une ménopause accélérée. Le document
Consensus canadien sur la contraception de la SOGC mentionne même : « Certains estiment que des règles anormales surviennent à la suite d’une stérilisation et l’apparition d’un « syndrome post-ligature des trompes » a été proposée en guise d’explication. Aucune donnée ne soutient cette hypothèse.» Et cette étude n'a trouvé aucune corrélation entre la stérilisation et la ménopause.
Deux méthodes de contraception : ligature et Essure
« Il existe actuellement en France [et au Qu/bec] deux techniques. La plus
ancienne est
réversible et se pratique sous anesthésie générale. Par
coelioscopie, le médecin fixe un clip sur chacune des trompes. Dans 80 %
des cas, en ôtant le clip et la partie de la trompe abîmée par le
pincement, une grossesse est à nouveau possible. La technique plus
récente, sous anesthésie locale, est définitive. Le médecin dépose à
l'entrée de la trompe un ressort qui provoque une petite inflammation,
la muqueuse s'épaissit et finit par former un bouchon. Dans tous les cas, une ligature des trompes n'a des conséquences que mécaniques. Elle
ne change rien au fonctionnement de l'ovaire et au désir sexuel. La
femme stérilisée continue d'ovuler (chaque ovule non fécondé est ensuite
digéré), d'avoir ses règles, et aura une ménopause comme les autres. » Source:
Libération.fr
Selon le document
Consensus canadien sur la contraception de la SOGC : « Cette procédure [Essure] offre de nombreux avantages potentiels par comparaison avec les autres méthodes de stérilisation : aucune incision n’est requise; elle est effectuée sous anesthésie locale ou sédation minimale, en cabinet, et est suivie d’une récupération rapide. »
Je conclue en citant une amie : « C'est fou, j'ai plein d'amies qui ont eu des chirurgies esthétiques et ne se sont pas fait décourager de la sorte. Elles aussi auraient pu le regretter. »
Comme quoi, une femme ne peut
toujours pas ne pas souhaiter avoir d'enfant et ne pas le regretter. Y a encore du travail à faire!