Bonjour Mme Baribeau,
Je suis arrivée dans votre site via la page de la Gazette des femmes. Je considère votre point de vue légitime, mais je ne peux m'empêcher de déplorer les limites à la réflexion qu'imposent les bases sur lesquelles il repose. En effet, comme les athées qui se définissent en opposition aux croyants (s'ils n'y avait soudain plus de croyants, que deviendraient-ils? les croyants ne sont-ils que ça? le sont-ils tous de la même manière? peut-ont être diversement athée?), il semble que les "childfree" ou "non-parents" tracent les contours de leur identité en opposition à ceux qui ont des enfants, alors même que, très paradoxalement, ces "childfree" ou "non-parents", dont vous-même, dénoncent le fait que la parentalité est à ce point mise de l'avant dans les médias qu'elle finit par devenir réductrice. Vous demandez à ce que cette parentalité ne soit vue que comme une facette de l'identité de chacun - et tout particulièrement des femmes -, mais vous réduisez vous-mêmes l'identité de ceux qui ont des enfants, par rapport auxquels vous souhaitez vous distinguer ouvertement, à n'être que cela, des parents, des "avec enfants" (par opposition aux "sans", les "childfree").
Si vous souhaitez vraiment que les femmes se construisent elles-mêmes et soient vues socialement comme des amantes, des professionnelles et, parmi plusieurs autres facettes, des mères, vous devriez vraiment remettre en question la case dans laquelle vous enfermez ceux/celles qui ont des enfants, voire qui placent la famille au centre de leur vie. Ce n'est certainement pas une tare de le faire, et si les médias mettent la parentalité - et la maternité - de l'avant, c'est peut-être simplement parce qu'il s'agit de l'un des derniers lieux communs qui unissent l'humanité, aussi banal que cette explication puisse paraître (je n'avais plus aucun contact avec plusieurs membres de ma famille élargie avant d'avoir des enfants : j'étais l'intellectuelle d'un milieu populaire, la Montréalaise de passage dans la région natale, la voyageuse chez les sédentaires, la lectrice chez les télévores, loin de "ma nature", je n'avais rien pour réintégrer le clan, si l'on peut dire : je n'approuve pas ce procédé d'exclusion/réinclusion, je le remarque simplement, sans en faire tout un plat). Sans compter que les diverses représentations des biotechnologies n'ont rien pour rassurer personne et que, dans ce contexte, la "bedaine" est qqch de réconfortant. Je ne vois rien de plus misogyne là-dedans que dans le reste des aspects sous lesquels on donne à voir les femmes dans la sphère publique - il y en a des bien pires...
Je me souviens d'un jour de 2005, un an après la naissance de mon premier fils, où j'ai rencontré par hasard ma directrice de thèse dans une bibliothèque où je faisais des recherches : "Eh ben, vous n'avez pas l'air d'avoir arrêté longtemps." De la part d'une farouche "childfree" (qui avait déjà dit à l'une de mes amies que les bébés, c'est comme des petits animaux baveux et bruyant qui empêchait de vivre, etc., ou qqch d'aussi édifiant), cela m'avait bien fait rire. Pourquoi avoir fait allusion à ma récente maternité et m'avoir ainsi "inventé" des contraintes? Papa était simplement à la maison en train de s'occuper de poupon, auquel je ne pensais pas le moins du monde, totalement absorbée par mon travail. Si cela n'avait été de cette rencontre, ma maternité ne me serait revenue à l'esprit qu'en toute fin de journée.
Je me souviens encore d'un jour de 2008, peu après la naissance de mon deuxième fils, où je prenais tranquillement un café avec une connaissance rencontrée encore une fois par hasard. Bébé pleurait dans sa poussette et je tentais de le calmer tout en continuant ma conversation. Elle me lance : "Toi tu prends ça bien, on dirait, la maternité. Ça n'a pas l'air de t'énerver." Par où l'on doit évidemment entendre: "Moi ça m'énerve tellement que j'en fais une obsession et que si j'avais un enfant, ça me tuerait." D'ailleurs, cette femme a fait quatre fausses couches avant d'avoir un bébé, qu'elle a finalement eu par pur souci de normalisation sociale. Je ne dis pas qu'elle n'aime pas son enfant, mais l'angoisse autour de ça était si forte qu'elle a abouti à plusieurs psychothérapies, épisodes dépressifs médicamentés, congés forcés, etc. C'est certainement cela qu'il faut dénoncer. Mais le faire reviendrait à quoi, devant une personne aussi mal en point? Faut-il aller lui dire : "C'est la société qui te rend malade"? Ou faut-il accepter ce désir (même forcené) d'enfant comme légitime et offrir tout l'appui qu'on peut à cette femme, en évitant tout discours réducteur quant à son identité? Malgré ce que vous semblez croire, et malgré le bon sens lui-même, peut-être, il semble bien que la recherche du bonheur prenne des chemins bien plus impensables qu'on ne pourrait le croire. Aussi, si un certain pourcentage de parents s'estimeraient plus heureux sans enfants, cela ne signifie certainement pas que c'est la parentalité qui les empêchent d'être heureux, mais bien le manque de capacité autoréflexive (qui doit-on blâmer pour cela?) et, encore plus, d'appui social et communautaire aux familles. Se sentir désemparé en tant que nouveaux parents est très commun aujourd'hui, le soutien de la famille proche ou élargie pouvant être quasi inexistant.
Tout ça pour dire que cette opposition parentalité/non-parentalité me semble avoir tout les traits d'une obsession mal réfléchie. Une véritable analyse des représentations sociales actuelles de la parentalité (et peut-être plus spécifiquement de la maternité) devrait selon moi conduire au dépassement de cette opposition.
Considérant l'état actuel de votre réflexion, je comprends que votre projet n'ait pas reçu de financement. La stérilité par choix ne devrait pas être aussi appliquée à la pensée.
Madame Lachance
Montréal
Ma réponse, je l'avoue, écrite tout de suite après la réception, fut des plus brèves.
Madame Lachance,Je vais tenter maintenant d'expliquer de manière plus posée pourquoi un tel courriel m'a a ce point énervée.
je ne vous remercie pas pour ce courriel non sollicité où vous m'insultez dans mes réflexions alors que je ne vous ai rien demandé. Il est évident que vous n'avez rien lu de mes écrits puisque n'importe qui de moindrement ouvert d'esprit et capable de réflexion se rendrait compte en moins d'un instant que je n'ai jamais opposé parentalité et non-parentalité.
Si ce documentaire doit se faire, c'est bel et bien parce qu'il y a des gens comme vous qui insultent nos choix de vie privés et nous bombardent d'opinions qui, franchement, ne nous intéressent absolument pas.
Au plaisir que vous ne répondiez pas à ce courriel et que vous appreniez à garder vos opinions pour vous et adieu.
Magenta Baribeau
Premièrement, madame Lachance, sachez que si l'on se "définit" en tant que childfree ou non-parent, c'est qu'il faut bien donner un terme à notre statut. Sachez de plus que je n'ai rencontré personne au cours des quatre dernières années de recherche sur ce documentaire qui se définit exclusivement comme childfree. Ce n'est pas un état en soi, c'est un qualificatif, un de plusieurs. Je suis une femme, je suis une artiste, je suis une amie, je suis intolérante au lactose, je suis non-parent, je suis Montréalaise, etc. Ce blog et ce documentaire se veulent une exploration de ce qualificatif, sans nécessairement le privilégier à tout autre.
Ce que je trouve de réducteur dans la passion des médias pour la maternité est le fait qu'ils se concentrent uniquement sur cette facette de la femme et oublient toutes les autres. Pour cette même raison, mon film Maman? Non merci! se penche sur toutes ces facettes et pas que sur la non-maternité. Une femme peut être une amante, une amie, une femme, une mère, une employée, une bénévole, etc. Ces titres ne s'excluent pas mutuellement. Par contre, beaucoup de médias aujourd'hui préfèrent réduire la femme à son seul statut de mère et le privilégier à tout autre. En faisant de la sorte, on finit par croire que la maternité est plus important que tout. Je me permets de demander: "Pourquoi?"
Je suis triste de constater que vous avez été blessée par votre directrice de thèse qui vous a semblé anti-enfant. Peut-être l'était-elle, peut-être n'était-ce que votre opinion, je ne le saurai jamais. Ceci dit, vous ne pouvez pas mettre tout le monde dans le même bateau. Ce n'est pas parce qu'une personne childfree vous a intimidée que tous les non-parents sont de même. J'ai rencontré beaucoup de childfree qui aiment les enfants. J'ai également rencontré des non-parents qui n'aiment pas trop les bébés. Par contre, qu'on les aime ou qu'on ne les apprécie pas outre mesure, le fait demeure le même: nous ne souhaitons pas en avoir pour diverses raisons qui n'ont pas à être justifiées auprès de quiconque.
Enfin, je me permets de répondre que si votre propre réflexion vous mène à croire que toutes les personnes qui, comme moi, revendiquent le droit de mentionner publiquement notre non-désir d'enfant sans pour autant être attaquées (comme vous le faites), sont obsédées par cette idée de non-parentalité, je tiens à vous rassurer que ce n'est pas du tout le cas. Nous vivons généralement très bien notre état puisqu'il a été choisi et est le fruit d'une longue réflexion. Nous n'opposons rien du tout, nous savons tout simplement ce qui est le mieux pour nous. Certaines personnes rêvent de maternité, d'autres non. Nous ne nous positionnons pas face à un refus de quelque chose, mais plutôt vers l'acceptation d'une réalité tout autre que celle d'élever des enfants. Je n'ai - et n'aurai - pas d'enfant non pas parce que je suis anti-bébé, mais parce que je préfère une vie sans enfant. J'aime ma vie. J'aime la vivre de la manière dont je le fais présentement. Il ne me manque rien. Je suis heureuse.
Comprenez-vous maintenant que ce n'est pas un refus. Ne vous arrêtez pas à la terminologie. Childfree, non-parent, infertile volontaire, nullipare, ce ne sont que des appellations. Il faut bien nommer les choses après tout. De nombreuses théoriciennes francophones et anglophones se sont penché sur la question de cette appellation. Chaque mot a une limite. Childfree ou "libre d'enfant" sonne comme si tous les enfants étaient des boulets. "Non-parent" est un refus de quelque chose. Etc. On cherche donc un autre terme qui serait plus positif, plutôt à propos de profiter de la vie autrement. Mais pour l'instant, ce terme n'existe pas. Alors au diable la terminologie. Il faut passer outre.
Enfin de terminer votre longue missive avec une pointe mesquine par rapport au financement de mon documentaire est, selon moi, vil et d'une grande bassesse. Vous pouvez ne pas être d'accord avec mes choix de vie, vous pouvez ne pas être intéressée par le sujet de mon film, mais de dire que ce documentaire fait avec les moyens du bord, avec beaucoup de bénévoles, avec de grands investissements personnels et de généreux dons de personnes (childfree ou non) qui croient en mon film, a bien fait de ne pas être financé, c'est mesquin, madame.
Finalement, si au départ je ne vous ai pas remercié pour votre missive, je me rétracte maintenant et vous remercie. Pourquoi? Parce que vous m'avez renforcée dans mes convictions, madame, que notre position de "childfree" est mal comprise et qu'il faut donc que je rectifie la donne. Ce film se fera, madame, sans votre soutien financier, bien évidemment, mais celui de bien des gens qui, comme moi, sommes fatigués de se faire insulter lorsque nous prenons position. Ce film se fera. Ce film se fait. Ce film est en gestation et il verra le jour sous peu.